
A.C.C. – Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir réalisateur ?
SONG Ilgon. – Lycéen, j’aimais passer du temps au cinéma et me plonger dans la littérature. C’était une façon de m’évader des révisions consacrées exclusivement à la réussite des examens d’entrée à l’université. Le cinéma était l’unique issue pour moi. C’est pourquoi, malgré une forte opposition de mes parents, j’ai fini par m’inscrire à l’école de cinéma. En étudiant le cinéma, j’ai vu davantage de films et j’ai commencé à avoir mes préférences au niveau des réalisateurs et des films.
A.C.C. – Pouvez-vous nous raconter vos débuts ainsi que votre parcours en tant que réalisateur ?
S.I. – Après mes études de cinéma au Seoul Institute of the Arts, j’ai voulu approfondir mes connaissances cinématographiques. Vers 1993, j’ai réalisé un film de 50 minutes en 16 mm intitulé Orphelia Audition. C’était un film expérimental composé de 26 prises de vues. J’ai rempli cette oeuvre avec ma curiosité et ma soif du cinéma. J’ai voyagé dans le monde des images et j’ai pu, derrière la caméra, projeter ce que j’avais imaginé. En 1994, s’est déroulé le premier festival de films de courtsmétrages à Séoul. À cette occasion, j’ai eu la chance que ce film soit choisi par le critique de cinéma CHUNG Sungil, parmi les 15 films en compétition. À l’époque, il n’y avait pas de festival équivalent, j’étais donc très heureux de faire partie de cette première sélection. C’est au cours de ce premier festival que j’ai fait la connaissance du réalisateur MOON Seung-wook qui m’a parlé de la Polish National Film School.
À la Polish National Film School de Lodz, il était possible de réaliser les courts-métrages en négatif 35 mm. De plus, mes réalisateurs favoris, Roman Polanski, Krzysztof Kieslowski et Andrzej Wajda y avaient étudié. Bien que cette école m’était inconnue, elle me paraissait alors idéale pour un jeune cinéaste comme moi.
À l’époque, j’étais en préparation depuis un an pour partir étudier aux États-Unis. Mon départ a cependant été retardé par les problèmes liés à l’obtention de mon visa, le solde du compte en banque de mon père étant insuffisant. C’est dans ce contexte désorienté que j’ai décidé de partir pour la Pologne. Douze jours après, j’étais déjà dans l’avion à destination de Varsovie…
Durant mes études en Pologne, j’ai réalisé plusieurs courts-métrages. Par chance, ils ont été projetés à divers festivals. C’est ainsi que Liver and Potato a été repéré par le réalisateur Wong Kar-Wai, qui m’a contacté par la suite.
Il m’a proposé la réalisation d’un long métrage. J’étais alors un jeune apprentiréalisateur tandis que Wong Kar-Wai était considéré comme le plus grand réalisateur d’Asie. Il était par ailleurs en train de tourner Happy Together. J’ai été, bien sûr, bouleversé par cette proposition. Je lui ai envoyé deux synopsis mais il les a refusés les jugeant trop artistiques. Il m’a finalement proposé de réaliser Madame Butterfly en version hong-kongaise. Après un moment d’hésitation, j’ai décliné sa proposition car je craignais de ne pouvoir réaliser le film auquel j’aspirais que sous l’action de son influence.
De passage en Corée, j’ai eu le désir de faire un court-métrage avec des acteurs coréens. C’est ainsi que j’ai réalisé The Picnic qui a été primé lors des festivals à l’étranger, dont le festival de Cannes, et qui m’a révélé aux producteurs coréens. De retour en Pologne, alors que je finalisais la réalisation d’un documentaire, plusieurs producteurs coréens m’ont proposé de faire un film. Je suis alors rentré au pays.
J’ai débuté ma carrière de réalisateur de long métrage avec Flower Island. À l’origine, je voulais débuter avec un autre film dont le titre était Knife, mais les conditions financières et matérielles n’étant pas réunies, j’ai repoussé sa réalisation à plus tard.
A.C.C. – Vous avez fait un début fracassant avec les courts-métrages Liver and Potato et The Picnic. Vous attendiez-vous à cela ?
S.I. – Je ne m’attendais pas à recevoir de prix. Mais le festival étant le seul endroit où les courts-métrages étaient projetés, il était évident que ce genre de manifestation entraînait une motivation importante pour un apprentiréalisateur.
A.C.C. – Une fois primé dans différents festivals de renommée internationale, les conditions de travail dans des domaines tels que le casting et la production ont-elles été meilleures ?
S.I. – Bien sûr que oui. Les prix dans les festivals, le succès auprès des critiques de cinéma et des cinéphiles constituent des moments très importants en tant que réalisateur. Il faut cependant savoir qu’il existe un monde politique derrière les festivals. Quand un réalisateur devient primé, cela peut lui être autant bénéfique que néfaste.
Il est clair que le cinéma est un art qui a des limites, mais esthétiquement parlant, il ne semble pas avoir de fin. En même temps, il représente un espace de divertissement. Personnellement, je pense que ces deux univers coexistent dans un film. J’ai reçu beaucoup de prix depuis ma jeunesse mais j’ai pris conscience que toutes ces récompenses m’enlevaient une certaine liberté dans ma façon de travailler. Elles sont telles des chaînes liant mes pieds, m’empêchant de marcher normalement, et je ne l’ai compris que depuis quelques années, alors que j’étais déjà réalisateur depuis 10 ans. Le film que je voulais réaliser n’était pas celui qui m’aurait rapporté un prix lors d’un festival. J’ai toujours voulu réaliser des films aimés du grand public, mais indépendamment de ma volonté, tous mes films ont fait l’objet d’avis stéréotypés ou de jugements préconçus. En fait, ce sont ces prix mêmes qui ont provoqué ce phénomène, ce qui est un peu paradoxal. Par conséquent, je travaille dorénavant sur la réalisation de films en vue de changer cette image de réalisateur préconçue.
A.C.C. – Quels sont vos trois films préférés et pourquoi ?
S.I. – Je sens que mes préférences en matière de films changent au fil du temps. J’aurais alors beaucoup de noms et de titres à citer. Néanmoins, si je devais choisir trois films que j’aimerais voir avant ma mort, ce serait : Les Lumières de la ville de Chaplin, Le Décalogue de Krzysztof Kieslowski et Le regard d’Ulysse de Theodoros Angelopoulos.
A.C.C. – Qu’est-ce qu’un bon réalisateur ?
S.I. – C’est une question difficile. Peutêtre est-ce un réalisateur qui fait un bon, un excellent film ? J’ai en tête plein de bons films. Les films sont un peu comme les plats culinaires ou les fleurs. Il existe de belles fleurs, des fleurs dangereuses, et des fleurs qui se remarquent avec peine mais qui ont une signification particulière pour une personne. C’est pour cela qu’il m’est difficile de le définir en une phrase.
A.C.C. – Comment avez-vous réalisé votre premier long métrage Flower Island ?
S.I. – Lors de mes études de cinéma en Pologne, j’ai reçu une proposition par une maison de production coréenne. Je suis donc rentré au pays et j’ai préparé un long métrage s’intitulant Knife. Mais le scénario de ce film a été jugé trop artistique, j’ai alors connu des difficultés à trouver des financements. Entre temps, j’ai eu l’occasion de bénéficier du soutien du plan promotionnel de pusan (PPP), au Festival international du film de Pusan où j’ai fait la rencontre de nombreux producteurs. Ce faisant, j’ai pensé qu’il était important de faire un film à travers lequel je pourrais exprimer la jeunesse, étant moi-même un jeune réalisateur. Une histoire où trois femmes de différentes générations partiraient à la recherche d’une île mystérieuse qui permet d’oublier la tristesse, m’a paru être un choix adéquat.
Même si je n’avais qu’un bugdet modéré j’ai voulu réaliser librement le film auquel j’aspirais. Au début de l’année 2000, le cinéma numérique était un support innovant. C’est ainsi, que comme une plume, légèrement, j’ai filmé ce que je voulais exprimer, en voyageant avec de bons acteurs. J’ai utilisé plus de 200 DV tape cassettes de 60 minutes et pendant deux mois, j’ai capté avec ma caméra le voyage de ces trois femmes, du début à la fin dans l’ordre chronologique. Le montage m’a pris plus de six mois et finalement, le film terminé est devenu mon premier long métrage de deux heures.
A.C.C. – Quels commentaires pouvezvous nous faire sur la réalisation de Spider Forest ?
S.I. – Après le tournage de Flower Island au moyen d’une caméra numérique, j’ai voulu faire un film en 35 mm sur la mémoire d’un homme. L’écriture du scénario a pris plus de deux ans. Il s’agit de l’histoire d’un homme qui, après un accident de la route, voit son passé se dérouler dans son inconscient. C’est un film dans lequel le personnage principal se cherche à travers son souvenir, manipulé au gré de son désir et de ses souvenirs réels. Ce film est, en somme, l’espace de la mémoire de ce personnage.
A.C.C. – Comment avez-vous réussi à réaliser Feathers in the Wind en 10 jours ? Quelle est la raison du choix de l’île d’Udo pour le lieu de tournage ?
S.I. – J’ai réalisé ce film pour l’ouverture du premier festival de cinéma écologique, au moment où j’étais en finition du montage de Spider Forest. Après la réalisation éprouvante de ce dernier, un film très sérieux, je m’étais retrouvé dans un état d’épuisement physique et mental. Je songeais à mon prochain film qui devait être en adéquation avec le thème de ce festival et j’ai pensé à l’île d’Udo, une des plus belles îles de l’archipel de Jeju, et à une histoire d’amour qui se passerait sur cette île. Une fois ce choix fait, je suis parti en voyage avec le personnel pour repérer les lieux du tournage. En y restant quelques jours, j’ai commencé à écrire de manière spontanée sur les sentiments que l’on peut éprouver par amour. Le scénario était terminé en une semaine. Comme le montant du financement par ledit festival s’élevait seulement à 50 000 euros environ, j’ai dû revoir le nombre de jours de tournage et d’acteurs à la baisse. C’est pourquoi, je n’ai pu tourner que pendant 10 jours. Le temps de montage en a été également écourté. En dépit de tout cela, je pense que c’est ce film qui donne le plus chaud au coeur parmi toutes mes réalisations.
A.C.C. – Comment appelle-t-on la danse qu’on voit dans ce film ? Quelle est la raison de l’insertion de cette danse ? Vouliez-vous communiquer un message particulier à travers elle ?
S.I. – La danse du film est le tango argentin qu’on appelle aussi « un coeur, quatre jambes », car le danseur et la danseuse bougent en totale union au niveau du coeur, en totale harmonie au niveau de leurs jambes. Comme j’étais passionné de tango, une fois que Mlle LEE So-hyeon a été choisie pour jouer le personnage principal féminin, je lui ai recommandé d’apprendre cette danse. Et la dame avec laquelle l’héroïne danse sur le toit de l’hôtel représente l’image de sa mère ressuscitée.
A.C.C. – Pourquoi avez-vous réalisé The Magicians en « one take one cut » (« en une seule prise ») ?
S.I. – La réalisation de ce film s’est aussi faite de manière fortuite autour du projet de « Trois réalisateurs aux trois styles numériques » du festival du cinéma de Jeonju. Ce programme consiste en la réalisation de film par trois réalisateurs d’Asie en utilisant le numérique. Après avoir songé d’abord à quelque chose de purement numérique, j’ai changé d’orientation en imaginant tout son contraire. J’ai pensé à la particularité de ce support qui pourrait enregistrer un film de plusieurs centaines d’heures de tournage en un « cut », étant donné que la mémoire de l’ordinateur est extensible à l’infini. J’ai donc écrit un scénario de 30 minutes, j’ai choisi les acteurs puis je leur ai fait lire le texte sur le lieu du tournage pour la première fois. Le résultat a été tellement positif qu’après cette première répétition générale, j’ai décidé d’en faire un long métrage. À ce moment-là, j’avais l’occasion de participer au festival du cinéma en Australie, j’ai donc écrit une version plus longue du scénario.
Au festival de Jeonju, il y a eu la projection de sa version en 40 minutes, et plus tard le film est sorti sous la forme d’un long métrage. Par le passé, il y a eu quelques films de 90 minutes tournés en une seule prise, mais dans mon cas, je me suis surtout interrogé sur le moyen de mettre en valeur le temps et la mémoire de quatre membres d’un groupe de musique en une seule prise. Il s’agissait surtout de faire un film qui réchauffe le coeur plutôt qu’une expérimentation cinématographique.
A.C.C. – Comment s’est déroulé le casting ?
S.I. – Je n’ai jamais assuré le casting des stars. Après avoir procédé au casting des acteurs qui correspondent le plus au rôle, j’adapte ensuite la personnalité du personnage aux acteurs.
A.C.C. – Quel est le sujet de votre prochain film ?
S.I. – Cette année, je suis allé à Cuba car j’ai le projet d’y tourner un mélodrame. En faisant des recherches sur place, j’ai entendu parler de Coréens arrivés dans ce pays il y a 100 ans, et j’ai fait un documentaire sur eux. Il va sortir le 3 décembre prochain en Corée. Par ailleurs, un film sur une histoire d’amour, adapté d’une pièce de théâtre intitulée Seulement Vous, est actuellement en préparation.
Propos recueillis par
Kyu-young Beaumont